La Rentrée 2024 a eu lieu. Et le climat était de la partie. Ni trop chaud, ni trop froid. Idéal pour recevoir de la meilleure des manières les élèves qui vont nous occuper jour (et pratiquement nuit) au cours des prochains 10 mois. Et ce n’est pas peu dire ! Merci l’Orientation en Seconde et PARCOURSUP en Terminale.

Pour certains d’entre nous, ça y est ! Nous avons aussi rencontré les familles des élèves de la nouvelle cohorte de Seconde. Et ça n’est pas rien… Il nous aura fallu encore une fois « accoucher les esprits » comme disait ce bon vieux Socrate en révélant non seulement l’importance de l’Orientation en Seconde, mais aussi de la Conversation Intra-familiale à ce sujet. Oui ! Parce qu’il y a encore des familles qui pensent que c’est aux enseignants d’orienter leurs enfants vers un avenir professionnel en les dirigeant vers tel ou tel enseignement de spécialité ?!?! Il est vrai qu’en rencontrant leurs enfants 3 heures par semaine à l’occasion de l’enseignement d’une matière, nous les connaissons tous et nous avons une parfaite connaissance de leurs aspirations, leurs rêves, leurs envies et leurs capacités à les atteindre… Les familles ont un peu trop tendance à se décharger de leurs responsabilités éducatives sur les enseignants et cela commence à faire un peu trop long feu… à mon goût.

 

Certes, nous connaissons LA fameuse réforme du lycée et du Baccalauréat de 2019 laquelle nous pourrit nos fins d’année depuis bientôt 5 ans maintenant ! Et c’est précisément cela que nous devons expliquer aux familles afin que les élèves accompagnés de leurs parents puissent en toute connaissance de cause et conséquence faire des choix d’Enseignements de Spécialité éclairés dans le but d’atteindre leurs objectifs personnels, mais aussi familiaux. Ne soyons pas naïfs, autour d’un enfant, il y a bien souvent beaucoup plus que les souhaits de l’enfant justement ; il y a aussi les attentes, les aspirations et les rêves d’une famille. Nous, enseignants, nous voyons les dynasties s’étaler au fil des ans devant nous. Nous savons aussi que depuis plusieurs années, l’ascenseur social s’est grippé et ne fonctionne plus.

Alors pourquoi sentez-vous dans ces quelques premières lignes une exaspération en ce début d’année ?

Réponse : parce qu’on nous demande constamment d’en faire toujours plus avec toujours moins.

Moins d’heure et plus d’élèves ! Remplacer le rôle éducatif des parents dans une classe de 33 élèves avec 1 heure de Vie de Classe par semaine dévolue à l’Orientation, le Tutorat, l’apprentissage de la gestion de son travail personnel, les préparations et comptes-rendus des Conseils de Classe. Le tout, bien entendu, rémunéré au lance-pierre… Si nous avions la gentillesse de faire tout cela bénévolement, on nous en serait reconnaissant… Mais non, il faut nous lâcher des miettes. Alors, non, nous ne déciderons pas pour les familles les Enseignements de spécialités que leurs enfants suivront l’an prochain, en Première, tout simplement parce que les conséquences sont beaucoup trop sérieuses pour l’avenir d’enfants que nous ne connaissons pas. C’est aux familles de réfléchir à ce choix en étant, évidemment, éclairées par nos apports et nos connaissances sur cette réforme. Et c’est bien entendu aux élèves de fournir les efforts nécessaires pour atteindre leurs objectifs « de beaux projets professionnels » !

Mais il y a autre chose qui m’agace depuis plusieurs jours !

L’Éducation Nationale, ou soyons sérieux, les élèves et les enseignants de France ont fait leur Rentrée des Classes ! L’année 2024 – 2025 est lancée. Sans Ministre de l’Education Nationale ! Sans Rectorat dont les bureaux gardent portes fermées. Sans interlocuteur donc pour les personnels de l’Éducation Nationale. Y a-t’il encore un capitaine à la barre du navire ?

Et pendant ce temps, nous autres, enseignants, nous devons continuer à garder le fort, dans des conditions de travail tout simplement inacceptables et, osons la vérité, dégradées. J’enseigne une langue prétendument vivante et dans ma classe de Terminale, je compte cette année 36 élèves ! Je les accueille en cours 2 fois par semaine pendant 55 minutes. Comment voulez-vous que chacun d’entre eux puisse bénéficier de conditions optimales pour développer des compétences linguistiques performantes dans toutes les activités langagières. Comment voulez-vous créer à 36 élèves, en langue vivante, les conditions d’un apprentissage serein et fonctionnel ? La moindre activité génère à 36 des échanges oraux occasionnant un chahut qui n’est absolument pas propice au développement intellectuel de chacun. Et ça c’est de la malveillance institutionnelle ! Car le nombre d’élèves dans nos classes résulte des décisions budgétaires du Gouvernement et de l’allocation des fonds dévolus par notre ministère dans les Rectorats. Que font-ils de notre budget ? Comment notre budget est-il réparti ? Pourquoi les élèves français doivent-ils se tasser à bientôt 40 dans un cours ? Pourquoi nos élèves français ne bénéficient-ils pas des mêmes conditions d’apprentissages que leurs camarades européens ? Pourquoi notre ministère nous contraint-il à travailler dans des conditions qui se dégradent toujours plus chaque année ? La malveillance se cache dans ces questions. La malveillance, ce n’est pas un enseignant épuisé physiquement et nerveusement, au bord du burn-out, voire pire, qui à un moment donné commet une erreur qu’il n’aurait pas commise si ses conditions de travail étaient optimales ; la malveillance c’est de laisser une situation empirer sans faire quoi que ce soit pour y remédier tout en demandant aux professionnels de faire comme si tout était parfait avec une rémunération d’un autre temps sans commune mesure avec les diplômes exigés et les responsabilités et les charges imposées. La malveillance c’est de fermer les yeux sur l’iniquité d’une situation en croisant les doigts dans le dos pour que tout se passe sans problème afin de ne pas avoir à trouver des éléments de langage pour se sortir de la panade et accuser les enseignants de fautes dont ils ne sont pas responsables puisqu’ils ne sont pas décisionnaires de la situation originelle. En matière de malveillance envers ses agents, notre Ministère est champion. Et cette Rentrée sans Ministre en poste, c’est du pain béni ! Champion ! Et le pire, c’est qu’ils vont finir par prendre goût à cette déresponsabilisation qui leur permet de décider de nos conditions de travail toujours plus dégradées sans avoir à en répondre. Du génie !

Alors que faire ?

La France fait partie de l’Europe depuis la signature du Traité de Rome en 1957.

On nous parle de l’Europe des peuples depuis des lustres.

Il serait donc grand temps de lancer une étude comparative des conditions de travail des enseignants européens. Histoire de voir ! Histoire de pleurer aussi !

Et quand je parle de conditions de travail, je ne parle pas de pédagogies différentes dont on nous rebat les oreilles à longueur d’articles de presse dont le seul objectif est de tailler un costume à « ces enseignants français terriblement mauvais et… feignants ». Et dont on apprend, fortuitement, dans un article bien solitaire, au bout de quelques mois, voire quelques années, qu’elles ne sont pas si performantes que cela en fin de compte (cf la pédagogie finlandaise et les derniers articles de presse sortis, par ex : https://www.marianne.net/societe/education/ca-saggrave-dannee-en-annee-les-raisons-du-declin-de-la-finlande-et-de-la-suede-au-classement-pisa ).

NON ! Je parle d’une étude sur les conditions de travail abordant des sujets tels que :

  • nombre d’élèves par classe (et donc son corollaire, le nombre de copies à évaluer),

  • journée de travail,

  • heures de travail hebdomadaires,

  • semaines de travail par an et donc périodes de vacances,

  • réunions parents-professeurs (quand ? & à quel moment de la journée ?),

  • respect de la vie privée,

  • impact du numérique sur le travail,

  • téléphones portables des élèves en classe,

  • impact des réseaux sociaux en classe,

  • pression parentale, etc…

  • et enfin salaire annuel en relation avec niveau de vie du pays.

Mais pour se lancer dans une telle étude, il faudrait vouloir que la situation change, évolue. Et pour cela, il faudrait accepter d’ouvrir les yeux sur les diverses dérives qui ont conduit l’Education nationale Française à la situation désastreuse dans laquelle elle s’enlise et que j’ai moultes fois abordée.

On ne construit pas l’avenir d’une nation sur des incertitudes. Et malheureusement, nous ne permettons ni aux enseignants d’enseigner et de construire sur du solide, ni aux élèves français d’apprendre et de se construire solidement.

Où allons-nous ? Telle est la question. J’ai peur d’avoir une réponse. Pas celle à laquelle je rêvais en passant mon CAPES. Réagirons-nous pour changer de cap ?